La grande distribution et la guerre des prix : La publicité comparative des prix entre entreprises de tailles et formats différents est elle licite ?
ARTICLE
REAL, Avocats à la Cour
Le 8 février 2017, la deuxième chambre de la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt suite à une demande de décision préjudicielle de la Cour d’appel de Paris dans une affaire opposant les entreprises « Carrefour Hypermarché SAS » et « ITM Alimentaire International SASU ».
Dans cette affaire, au cours du mois de décembre 2012, la société Carrefour a lancé une campagne publicitaire télévisée de grande ampleur intitulée « garantie prix le plus bas Carrefour » comparant les prix de 500 produits de grandes marques pratiqués dans des magasins à l’enseigne Carrefour et dans des magasins d’enseignes concurrentes, parmi lesquels figuraient les magasins Intermarché et offrant au consommateur de lui rembourser deux fois la différence de prix s’il trouvait moins chers ailleurs.
À partir du deuxième spot télévisé, les magasins Intermarché sélectionnés pour la comparaison étaient tous des supermarchés et les magasins Carrefour étaient tous des hypermarchés, de taille largement supérieure.
A ce titre, il importe de préciser que cette information ne figurait que sur la page d’accueil du site internet de Carrefour avec la mention en petits caractères que la garantie était valable uniquement dans les magasins Carrefour et Carrefour Planet et qu’elle n’était donc pas valable dans les plus petits magasins de la marque.
Entre autre, dans les spots publicitaires, apparaissait, en dessous du nom Intermarché, en caractères plus petits, la mention « super » afin de préciser que la comparaison ne prenait en compte que les prix pratiqués dans les magasins de plus petites tailles de la marque.
On peut dès lors se demander si une comparaison dans une publicité entre les prix pratiqués dans des magasins de tailles et de formats différents, lorsque ces magasins font partie d’enseignes possédant chacune une gamme de magasins d’envergure distincte et que l’annonceur compare les prix pratiqués dans les magasins de taille supérieure de son enseigne avec ceux relevés dans des magasins de format inférieur, ne constitue pas une concurrence déloyale entre ces deux commerçants.
A ce titre, il s’agit de savoir si une comparaison des prix de produits sélectionnés n’est licite que si ces produits étaient vendus dans des magasins de taille ou de format identique.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a par conséquent dû déterminer si cette pratique contrevenait à l’article 4 de la directive 2006/114/CE qui détaille les conditions dans lesquelles la publicité comparative est licite.
En effet, ledit article 4 qui a été transposé au Grand-Duché du Luxembourg par l’article 18 de la loi du 30 juillet 2002 réglementant certaines pratiques commerciales, indique que la publicité comparative est uniquement licite si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
- La publicité n’est pas trompeuse
- Elle compare des biens ou services répondant aux même besoins ou ayant le même objectif
- Elle compare objectivement, une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services, dont le prix peut faire partie
- Elle n’engendre pas de confusion sur le marché entre l’annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l’annonceur et ceux d’un concurrent
- Elle n’entraîne pas le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activités ou situation d’un concurrent
- Pour les produits ayant une appellation d’origine, elle se rapporte dans chaque cas à des produits ayant la même appellation
- Elle ne tire pas indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou à d’autres signes distinctifs d’un concurrent ou de l’appellation d’origine de produits concurrents
- Elle ne présente pas un bien ou un service comme une imitation ou une reproduction d’un bien ou d’un service portant une marque ou un nom commercial protégé.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a alors rappelé que selon la jurisprudence constante « la publicité comparative contribuait à mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables et ainsi stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et de services dans l’intérêt des consommateurs, les conditions exigées d’une telle publicité doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à celle-ci, tout en s’assurant que la publicité comparative ne soit pas utilisée de manière anticoncurrentielle et déloyale ou de manière à porter atteinte aux intérêts des consommateurs ».
Dans le cas présent, la Cour a déterminé que, dans certaines circonstances, la différence de taille ou de format des magasins dans lesquels ont été relevés les prix comparés par l’annonceur peut fausser l’objectivité de la comparaison.
En effet, il est avéré de dire que les prix des produits de consommation courante sont susceptibles de varier en fonction du format ou de la taille du magasin ainsi que de la situation géographique de celui-ci.
A titre d’exemple, les prix dans un petit magasin de quartier à Paris seront bien entendu plus élevés que les prix pratiqués dans une grande surface à la périphérie de n’importe quelle grande ville.
Cette publicité est dès lors susceptible d’avoir une influence sur le comportement économique du consommateur en amenant celui-ci à prendre une décision dans la croyance erronée qu’il bénéficiera des écarts de prix vantés dans la publicité en achetant les produits concernés dans tous les magasins de l’enseigne de l’annonceur plutôt que dans des magasins des enseignes concurrentes.
En revanche, une telle publicité n’est pas susceptible d’être trompeuse si le consommateur a été informé du fait que les prix comparés concernent des produits vendus dans des magasins de tailles et de formats différents.
La Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle ici qu’en application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, cette information doit être fournie de manière claire, précise et intelligible.
On peut par conséquent conclure qu’une publicité comparant les prix vendus dans des magasins de format ou de taille différents n’est pas en soit illicite mais est susceptible de l’être si elle ne répond pas au caractère de comparaison objective ou est trompeuse.
Au regard de ces éléments, la Cour de Justice de l’Union Européenne conclut dans cette affaire que cette publicité ne répond certainement pas aux critères d’objectivité de la comparaison et qu’elle s’avèrerait trompeuse.
Il appartiendra dès lors à la Cour d’appel de Paris d’apprécier le caractère licite ou non des spots publicitaires télévisés de Carrefour en considération de la position de la Cour de Justice de l’Union Européenne prise dans cet arrêt.
L’issue de cette guerre des prix reste par conséquent en suspens jusqu’à une décision définitive de la Cour d’appel de Paris et les retombées de cette décision seront probablement suivies de très près par les géants de la grande distribution.