Illustration actuelle jurisprudentielle en matière d’annulation d’une clause de non-concurrence dans le domaine des franchises : La protection de l’agent commercial dans le cadre du libre exercice de son activité

ARTICLE

REAL, Avocats à la Cour

 

Dans le cadre d’une affaire traitée par l’Etude REAL, Avocats à la Cour, la Cour d’appel de et à Luxembourg a rendu, par arrêt en date du 3 mai 2018, une jurisprudence décisive dans le domaine des clauses de non-concurrence, de nature à protéger l’agent commercial concernant le libre exercice de son activité.

 

a) Le régime des clauses de non-concurrence en droit luxembourgeois

 

La clause de non-concurrence est une stipulation contractuelle qui a pour objet d’interdire à une partie de faire concurrence à une autre partie en exerçant une activité professionnelle similaire pendant la durée ou après l’expiration des relations contractuelles.

 

Restreignant la faculté, pour le débiteur de l’obligation d’abstention, d’exercer librement une activité, elle porte atteinte à des libertés fondamentales, la liberté d’entreprendre et la liberté du travail.

 

Il est admis que pour être valable, une clause de non-concurrence doit être limitée soit dans le temps, soit dans l’espace (ou les deux), elle doit être destinée à protéger les intérêts légitimes du bénéficiaire de la clause, elle ne doit pas placer la personne tenue à l’obligation dans une situation ne lui permettant plus d’exercer normalement sa profession et elle doit être proportionnelle (Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit commercial, Concurrence, n°100 et ss.).

 

L’exigence de proportionnalité, qui s’apprécie par rapport à l’objet du contrat, met en balance l’intérêt légitime du créancier de la clause de non-concurrence, exposé aux risques concurrentiels que représente le débiteur, et l’atteinte apportée au libre exercice de l’activité professionnelle du débiteur, la nature et la durée des relations entre les parties étant appréciées à ce titre.

 

En matière de franchise, la validité des clauses de non-concurrence a été admise dans la mesure où elles sont indispensables pour protéger le savoir-faire transmis et l’assistance apportée par le franchiseur et qu’elles sont propres à préserver l’identité et la réputation du réseau. Le créancier peut avoir un intérêt légitime à protéger son savoir-faire ou des informations confidentielles, à se protéger contre un risque de détournement de sa clientèle ou, dans le cas particulier de la franchise, à protéger l’identité commune et la réputation du réseau.

 

En l’absence de dispositions particulières prévues par notre législation, les juridictions luxembourgeoises se réfèrent aux dispositions françaises en matière de clauses de  non-concurrence dans le domaine des franchises, la législation française récente (loi du 6 août 2015, dite loi « Macron »), prenant soin de préciser que la clause doit être indispensable à la protection « d’un savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat ». Il importe que le savoir-faire ait une certaine consistance (Jurisclasseur Concurrence-Consommation, fascicule 111 : clause de non-concurrence – validité, n° 49).

 

b) Aperçu de l’évolution jurisprudentielle et de la position actuelle de la Cour d’appel de et à Luxembourg

 

La jurisprudence a pu considérer que les clauses de non-concurrence « peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exclusivité ; que ces clauses doivent cependant rester proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent » (Cons. Conc., déc. N° 97-D-48, 18 juin 1997).

 

Encore faut-il ainsi que la clause de non-concurrence n’ait pas pour effet d’empêcher l’agent d’exercer toute activité professionnelle (Cass. Com. 4 juin 2002, Bull. civ. IV, n° 98, JCP 2003, II. 10164).

 

A cet égard, la jurisprudence française avait d’ores et déjà pu considérer comme non-valide une clause de non-concurrence empêchant un agent commercial, en cas de rupture de son contrat, d’exercer toute activité professionnelle, « dès lors qu’elle a une formation et une expérience professionnelle de déléguée médicale, et que lui sont interdites pendant deux ans toutes activités, salariées ou non, dans le domaine de la fabrication et de la commercialisation de produits diététiques sur la France entière »(Cour d’appel de Rennes, 15 février 2011).

 

Dans le cadre de l’affaire traitée par l’Etude REAL, Avocats à la Cour, force est de constater que la jurisprudence luxembourgeoise s’est alignée sur la jurisprudence française en annulant une clause de non-concurrence dans le cadre d’un contrat de conseiller commercial sur ce fondement.

 

En effet, dans le cas particulier de cet arrêt rendu en date du 3 mai 2018 (CSJ, arrêt n° 90/18 – II – CIV), la deuxième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière civile, a pu relever que la clause de non-concurrence, en interdisant au conseiller commercial pendant une durée de douze mois l’exercice de toute activité d’agent immobilier, directement ou indirectement, pour son propre compte ou par personne physique ou morale interposée, avait pour conséquence de priver le débiteur de la clause de non-concurrence de la possibilité d’exercer normalement son activité professionnelle et constituait ainsi une restriction excessive et injustifiée de sa liberté de travail.

 

Dans cet arrêt, la Cour avait aussi pu constater que le risque concurrentiel était minimal au vu de la position forte du franchisé par rapport à la situation du conseiller commercial sur le marché luxembourgeois et au vu de la durée très limitée pendant laquelle ce dernier avait travaillé auprès de la société (en l’occurrence moins de trois mois).

 

Elle avait également relevé qu’il ne résultait d’aucun élément de la cause qu’un savoir-faire spécifique et substantiel avait été transmis par la société au conseiller commercial en ce qui concerne l’exercice de l’activité d’agent immobilier.

 

Au regard de ces éléments, c’est en tenant compte de la disparité entre l’atteinte portée au principe fondamental de la liberté d’exercice d’une activité professionnelle, d’une part, et les intérêts légitimes qu’elle protège, d’autre part, que la Cour d’appel a jugé que la clause, en l’espèce, apparaissait disproportionnée et devait être annulée.

 

Conclusion :

L’analyse de cet arrêt rendu par la Cour d’appel de et à Luxembourg en date du 3 mai 2018 (CSJ, arrêt n° 90/18 – II – CIV) a permis de souligner l’importance du rôle et de l’intervention nécessaire du juge en matière de lutte contre les clauses abusives afin de corriger les excès que le principe de la force obligatoire des contrats peut engendrer, dans un but de protection des parties faibles à la relation contractuelle.